Claudio Corallo – délicieusement cacao


Décembre 2014. Une conversation sur Skype initie une aventure peu commune : celle d’une invitation de partir à la découverte d’un des producteurs de café, de cacao et de chocolat le plus remarquable du monde : Claudio Corallo (Corallo = corail. Marrant ce nom quand on sait qu’il est un excellent plongeur en apnée).

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Février 2015. Arrivée à Sao Tomé. À la descente de l’avion la chaleur tropicale me happe, la nature exubérante éblouie mes yeux sur fond de coucher de soleil. Un peu plus tard, le pare-brise fissuré de mon taxi me rappelle que le plus grand danger pour le promeneur non-averti sont les noix de cocos qui tombent des palmiers. Et des cocotiers, il y en a partout sur l’île. Peut-être j’aurais dû apporter mon casque.

Le petit coucou à hélices qui m’emporte vers l’ile de Principé le lendemain matin me fait penser aux bandes dessinées de mon enfance, avec la seule différence que celui-ci peut vraiment tomber du ciel. Mais il arrive à bon port et me dépose dans le royaume de la forêt qui chante, des moustiques affamés et de l’eau de source d’une pureté et douceur incomparables. À l’aéroport miniature de Principé, un avion tout rouillé est fièrement exposé, arborant sur sa coque patinée une vieille affiche sur laquelle on peut encore distinguer : Plus de Progrès !

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Ça change des aéroports modernes. Sur la deuxième piste d’atterrissage, actuellement en construction, une ambulance fait des aller-retour tout en sirène, pas tant pour transporter un malade mais plutôt pour épater la gallérie. Les enfants courent et tout le monde traverse les deux pistes en long, en large et en travers. De tout façon, il n’y aura pas d’autre avion pour aujourd’hui, alors pourquoi contourner.

Claudio m’attend dans un vieux 4×4 et on taille la route à travers un paysage sauvage et enchanteur pour mes yeux habitués au bois de Vincennes et le bitume parisien. Le cardan semble vouloir rendre l’âme à tout instant, la route laisse place à une piste plus ou moins bosselée qui nous mène tout droit au coeur d’un des endroits les plus fabuleux que je n’ai jamais visité : la plantation Terreiro Velho, royaume du chocolat de Claudio. En fait, royaume tout court. Je suis plus que ravie. C’est beau, dans le sens à la fois noble et simple du terme. Une sensation délicieuse d’avoir découvert un véritable trésor m’envahit. Pas de ceux que l’on possède et renferme dans un coffre-fort, mais de ceux qui laissent une trace légère mais indélébile dans une vie.

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Retour en arrière.

Millésime 1951. Marylin Monroe est aux Oscars, Marlène Dietrich reçoit la Légion d’honneur et la télévision américaine diffuse sa première émission en couleur. Une année catastrophique pour le vin en France, mais également une année qui donnera naissance à un poète de la fève de cacao et du grain de café.

Le 19 février de cette année André Gide meurt, poète de la plume et esprit libre, dont un des exploits fût de dénoncer haut et fort les abus de l’administration coloniale en Afrique Noire, plus précisément au Congo. Ce même jour Claudio naît à Florence, magnifique cité italienne nichée au cœur de la Toscane et de ses paysages bucoliques. La poésie change d’ambassadeur.

Dès son enfance Claudio préfère les animaux et la nature aux charmes de la ville. Il passe le plus clair de son temps dehors à explorer son environnement. Après l’école, il entre en lycée technique où il acquiert une solide formation en agronomie tropicale. En 1974, après quelques boulots qui n’ont pas réussi à éveiller son intérêt, il part à tout juste 23 ans pour l’Afrique. Continent vaste et encore largement inexploré, il pose ses valises au Zaïre, voisin du Congo.

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Grand voyageur, réfractaire au luxe et aux conventions établies, c’est un chercheur dans l’âme, explorateur, perfectionniste, exigeant, profondément humain, plein d’esprit et d’humour. Sa vie, parsemée d’anecdotes fabuleuses et d’épreuves difficiles, semble tout droit sorti d’un roman de voyage. Sauf que c’est bien réel.

D’abord considéré comme maître incontesté du café, il a aujourd’hui la réputation d’être le roi du chocolat. Et quel chocolat ! Un ami chef, au palais vraiment exigeant et à qui je l’ai fait goûter récemment, s’est exclamé au premier morceau «Mais c’est une véritable révolution gustative !». Je crois que je lui ai gâché d’un seul coup le plaisir coupable du chocolat industriel (qui représente environ 99% du marché, y compris professionnel…).

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Revenons en 1974. Claudio quitte l’Europe pour le Zaïre. Il y exerce différents métiers, dont celui de brooker pour café, ce qui lui permet non seulement de bien connaître le marché, mais aussi la qualité des différents grains commercialisés. Devinant que même le meilleur café vendu est loin de révéler tout son potentiel, il commence à s’intéresser de près à la culture de ce fruit complexe. Très vite il se rend compte que les vérités communément admises sont trop limitées. Il saute alors le pas 5 ans plus tard en acquérant deux plantations au cœur de la forêt équatoriale, au centre même du Zaïre, pour y mener ses propres expériences directement sur le terrain.

À 1700 km de distance de la capitale par voie fluviale, représentant près de 2 semaines de voyage en pirogue motorisée (il n’y avait ni routes ni pistes, et les avions peu fiables disparaissaient régulièrement avec cargaisons et passagers), il parvient à y cultiver ce qui était alors considéré comme le meilleur café du monde, obtenu à partir de la variété Robusta. Très recherché, il était rare, de qualité exceptionnelle et commandait des prix beaucoup plus élevés que ceux de ses meilleurs concurrents directs.

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Le secret de Claudio : vivre en immersion totale et en communauté avec les zaïrois, parlant leur langue et se familiarisant avec leur culture. Ce qui lui a permis par la suite de réaliser un travail en équipe hors du commun, en harmonie avec l’environnement, y compris culturel, formant une véritable famille au cœur de la forêt tropicale. Inventeur, débrouillard et extrêmement bien organisé, il a su s’adapter à tous les imprévus et défis, parties intégrantes de la culture africaine et du marché du café. Au plus haut de son activité, ses plantations se trouvaient au cœur d’un territoire de près de 75.000 km2. Il y faisait vivre, directement ou indirectement, environ 6.000 personnes. Un sacré challenge et un véritable exploit.

Cependant, pillages réguliers et les fluctuations parfois gigantesques du prix du café ont failli mettre un terme à son aventure à plusieurs reprises. Mais il lui en faut plus pour abandonner. Face aux incertitudes revenant de façon cyclique, il explore d’autres possibilités de plantation, notamment en Amérique du Sud et au large de la côte ouest africaine. Mais son cœur est ancré au Zaïre et il y réside jusqu’à ce que la révolution de 1997 mette une fin abrupte à ses activités, l’obligeant a fuir le pays en laissant quasiment tout derrière lui.

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Aujourd’hui, Claudio vit et travaille dans le deuxième plus petit état africain, Sao Tomé & Principé, indépendant depuis 1975. Des îles tropicales isolées d’origine volcanique, formant un archipel sauvage, perdu au milieu du Golf de Guinée très proche de l’équateur. Découvertes au 15ème siècle par des navigateurs portugais en quête de nouveaux territoires, elles ont très vite été transformées en colonies, puis ont vu plantations et l’esclavage fleurir, d’abord pour la canne à sucre. Finalement, courant du 19ème siècle, la production du cacao prend son envol avec des fèves importées du Brésil. Un bel exemple de la fluctuation géographique des cultures agricoles et de ce que l’on pourrait aisément qualifier comme l’or vivant : canne à sucre, café, cacao, safran, etc…

Au début du 20ème siècle, Sao Tomé & Principé devient le premier producteur mondial de fèves, exportées aux quatre coins du globe. Le chocolat est en train de conquérir le monde. Mais le colonialisme touche à sa fin et partout des voix commencent à s’élever contre les conditions de vie des travailleurs dans les colonies. En attendant que ce moment arrive enfin, il a bien fallu des siècles pour éveiller la conscience des uns et des autres, causant un déracinement et une souffrance humaine sans nom.

Les deux îles hébergent alors une population importante d’esclaves africains et seulement une minorité d’étrangers. Les propriétés coloniales, appelées Rosas, étaient construites comme des forteresses. Certaines existent encore aujourd’hui, généralement en piteux état, mais situées dans les plus beaux endroits des îles. La forêt a partiellement repris ses droits, couvrant d’une épaisse couche luxuriante les traces d’une sombre histoire.

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Principé, la plus sauvage et grande de seulement 142 km2 (à peine plus grande que Paris intramuros), a été classée biosphère par l’UNESCO en 2012 et est peuplée d’une faune et flore unique. Une multitude d’oiseaux et chauve-souris peuplent l’île, et les cacaoyers ont pu survivre et se transplanter grâce aux singes qui vivent près de la mer, en bas des collines. Très amateurs de cabosses, ils ont permis la dissémination des fèves, et donc la préservation de variétés anciennes initialement importées par les colons.

Sao Tomé est plus exploitée, mais n’est guère plus développée. Elle héberge la plus grande partie de la population de cet état minuscule, et de magnifiques plantations de café. Effectivement, le relief accidenté de l’île fait que certaines se situent autour de 1000m d’altitude, ce qui permet de tempérer la chaleur tropicale et de cultiver les arbres à café dans des conditions idéales.

Ces îles disposent donc d’une nature exubérante, de zones climatiques assez diversifiées et de l’eau en abondance. Mais les velléités de développement, et surtout d’exploitation des ressources naturelles, mettent ce patrimoine et l’équilibre social en péril. Car le continent et l’occident lorgnent sur les richesses de l’archipel, faisant totale abstractions des réels besoins de la population. D’ailleurs, les premiers effets négatifs sont en train d’apparaître et risquent de se développer exponentiellement. À quoi je ne peux qu’ironiquement répondre : vive le progrès !

Claudio, bien conscient des enjeux sociaux et environnementaux, cultive ses deux plantations d’environ 100ha chacune (« Nova Moca » à Sao Tomé et « Terreiro Velho » à Principé) en totale harmonie avec la nature. Y pousse du cacao, mais aussi du café et du poivre d’une qualité exquise. Puis des mygales, des crabes de terre, des oiseaux qui littéralement enchantent la forêt et toutes sortes d’insectes prédateurs qui parfois adorent vous mordre à pleines dents. Il sait que seulement une nature préservée et équilibrée peut pleinement exprimer toute sa beauté gustative. Plus qu’un simple observateur, Claudio y réintroduit des espèces végétales disparues, mais nécessaires à l’équilibre de l’écosystème local.

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Son approche est plus que de la biodynamie ou du développement durable, car beaucoup plus complexe à mettre en place. Exigeant une connaissance parfaite du terrain, de la faune et de la flore, il adapte ses méthodes de travail complètement aux besoins des plantes, tout en les encourageant à produire le niveau de qualité exigé.

Ce qui implique que tout travail à la plantation est fait à la main, sans chimie ni engrais. Claudio fait vivre 300 personnes et ne travaille qu’avec les locaux, trouvant plus intéressant de créer un développement social local que d’enrichir quelques étrangers venus d’ailleurs. Seuls exceptions, Nicola, jeune italien agronome qui l’épaule, Pol, espagnol et pro de la communication et Ines, photographe et graphiste talentueuse. De plus, son style de vie simple et sans luxe tranche avec celui de la plupart des autres étrangers installés sur l’île, créant sur le coup un exemple positif et sain de cohabitation et d’intégration.

Le travail de Claudio force l’admiration, et même l’ancien ministre des affaires étrangères a admis à un journaliste de passage que ce qu’il fallait pour faire du bien à l’île, ce seraient dix clones de Claudio et non pas des aides étrangères. Comme quoi !

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Mais venant aux faits : en quoi concrètement diffère le chocolat de Claudio de ceux des autres ?

Tout d’abord, il est le seul qui plante, élève, récolte, transforme et crée le chocolat. Il n’y a personne d’autre dans le monde du chocolat qui le fait (ne vous laissez pas berner par les photo-reportages et autres supports de communication). Les variétés de cacaoyer qu’il cultive sont anciennes, vierges de toute modification génétique dont sont victime la plupart des cacaoyers hybrides modernes. Les rendements sont minuscules, tout juste à la limite du viable économiquement parlant, mais d’une qualité rarissime. Puis, comme dans le vin, il y a l’effet millésime. D’une récolte à l’autre, les caractéristiques du cacao changent. D’un terroir à l’autre aussi.

Le chocolat de Claudio en est un fidèle miroir. Il surprend d’abord par sont intensité olfactive. Puis gustative. En bouche, il montre les arômes vivants, purs et inaltérés de la fève. La texture aussi est différente : jamais collante, toujours croquante, on garde le palais frais et les arômes s’y promènent librement et sans encombre, puis prennent leur temps avant de s’évanouir juste à temps pour vous donner envie de reprendre un morceau. C’est tellement intense et sincère qu’il est impossible de le manger sans y prêter attention. Tous les sens en alerte, on a plutôt envie de se perdre dans cet univers sensoriel. Rien que ça le distingue nettement de tous les autres chocolats actuellement sur le marché.

Et les chocolats des autres ? Dans le monde du cacao, on vous vends beaucoup de vent et de discours marketing et on vous mène joliment et adroitement par le bout du nez, vous faisant croire que vous dégustez du vrai chocolat. Mais c’est faux. Le chocolat est littéralement victime de son succès. Quasiment sans exception, vous goutez des produits plus ou moins industriels, issus de fèves de qualités disparates nécessitant un traitement et usinage violent pour enlever tout défaut aromatique, les rendant neutre pour ensuite les re-parfumer avec d’autres composantes, en tête la vanille, le sucre, la lécithine de soja et le beurre de cacao. 99% des « chocolats » disponibles sur le marché sont en fait des marques qui se mangent, avec chacune sa signature gustative que vous retrouveriez année après année, mais dont le goût n’a plus grand chose à voir avec son ingrédient phare.

Il serait fort naïf de croire que la production de ces marques chocolatées serait possible dans le respect du fruit ou de l’environnement. Il suffit de se pencher sur le cas de la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de fèves de cacao, dont les plantations en forte expansion (la demande mondiale du chocolat est en constante augmentation) ont déjà eu raison d’une grande partie de leur forêt, laissant place à la monoculture. Ce qui n’est jamais une bonne idée. Un article édifiant à ce sujet a été publié par une association ivoirienne (lire ici). D’autres pays s’en sortent mieux, comme l’Indonésie par exemple, pourtant la qualité des fèves reste très moyenne.

En fait, le vrai Cacao de haute qualité nécessite non seulement des plantations en parfait équilibre écologique, mais aussi, comme indiqué plus haut, des rendement très très limités. Ce qui est totalement contraire à la logique économique des marchés actuels. Les hybrides modernes produisent énormément, jusqu’à dix fois plus qu’un cacaoyer de variété ancienne. Cela enchante les hommes d’affaire et les planteurs mal (in)formés et généralement sous-payés. Pourtant, comme pour la vigne, quand on fait « pisser » l’arbre on perd forcément en qualité. De plus, récolter à maturité parfaite n’est point dans la logique d’un marché en constante demande qui veut disposer « rapidement » de la matière première.

Il n’y a pas de mystère : le véritable chocolat est un authentique produit de luxe, rare et très cher à produire. Les chocolats de Claudio font partie de cette catégorie et sont même bien plus que ça : un bonheur surprenant à croquer, qui permet de créer un lien gustatif et sensoriel entre l’endroit où vous êtes, l’histoire de Claudio et le terroir de naissance de la fève. Alors pas étonnant qu’il chamboule bien des standards établis et arrive à fédérer une véritable communauté de fans chocolatomanes.

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Donc, si vous n’avez encore jamais goûté ses chocolats, il ne me reste qu’une chose à dire : Allez-y, mordez dedans et laissez vous emporter par ce tourbillon totalement chocolat !

Miam !

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Où trouver les chocolats de Claudio ?

En visitant son atelier sur place, à Sao Tomé. Ça vaut le détour !!

Sur son site web : www.claudiocorallo.com

NB : en France, ils sont exclusivement vendus à l’Arbre à Café, situé à Paris (contact ici). Si vous habitez en province, demandez leurs de vous les expédier.

NBB : petite note à tous ceux qui trouveront son chocolat « cher » : oui, il n’est pas donné, mais avec tout le travail qui est derrière il ne peut tout simplement pas coûter moins, sinon Claudio travaillerait à perte… où serait obligé de travailler de manière industrielle, avec chimie, clones, engrais et tout l’attirail du bon planteur qui fait la richesse de sociétés comme Monsanto. Et ça, c’est hors de question !!

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