Les chiffres du vin 2014 et le France bashing (un café s’il vous plaît)


Hier, à la très sérieuse conférence de presse annuelle de l’OIV sur la conjoncture vitivinicole mondiale de 2014, les chiffres volaient dans tous les sens, mais deux seuls semblent avoir retenu l’attention de l’assemblée et causent depuis hier le désarroi de la France entière.

Premier malheur : le vin n’est plus que troisième poste le plus important de la balance commerciale française. No way, que la médaille de bronze ??? Sauf qu’à y regarder de plus près, n’est-ce pas déjà un exploit en soi qu’une filière, composée d’un nombre incalculable de petits acteurs, danse en tête avec les deux filières de géants de l’industrie ? Il faut être drôlement excellent pour y arriver. Cela démontre aussi que l’excellence n’est pas une question de taille, mais un état d’esprit.

Deuxième malheur : la taille du vignoble chinois = 799.000 hectares plantés. Argh, pieu dans le cœur des français, qui se voient, avec leurs 792.000 hectares plantés, dépassés de 7.000 hectares. Scandale !

Et voilà que tout le monde sort son fusil et procède dans l’ordre de la logique française au France-bashing… Sport national détestable et mesquin, qui m’a toujours paru vain et totalement déplacé. De plus, l’économie française a d’autres chats à fouetter que de s’apitoyer sur son sort. Qui, me semble-t-il, est tout de même parmi les plus enviables du globe terrestre.

Certains leaders d’opinion, y compris une frange du gouvernement, tirent à bout portant sur une filière, qui, même avec une « modeste » troisième place, fait vivre un pays entier. C’est comme tirer sur une ambulance ou scier la branche sur laquelle on est assis. S’y ajoute que pour pouvoir se développer, il faut communiquer une image positive, être engageant pour encourager à s’engager. C’est le sourire et l’attention que l’on porte aux choses qui les valorisent aux yeux de l’observateur. Or, l’image du vin français prend sérieusement de l’eau.

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Ce qui baisse son attractivité sur un marché mondial rempli d’acteurs qui rêvent de lui ravir sa place. Et qui, eux, érigent le vin en bien précieux culturel et le font savoir. L’image est cruciale. Comme dans n’importe quelle communication, un sourire donne envie. S’auto-flageller non. Sincèrement, là j’ai plutôt envie de me servir un verre solaire et gourmand de Brunello de Montalcino qu’un verre de la « mafia des grands crus ». Tchin la France…

Revenons à la Chine. Calmez vos esprits. Le tigre n’est pas prêt à croquer le coq (au vin ?).

Comparons surface plantée et production effective :

  • Chine :            799 mha pour une production de 11,1 millions hl
  • France :          792 mha pour une production de 46,5 millions hl

Donc, à superficie plantée quasi égale, une production annuelle française de vin 4 fois supérieure à la Chine. De plus, aucun chiffre ne précise la nature de ces plantations nouvelles dans la tanière du tigre : s’agit-t-il de raisins de cuve ? de table ? secs ? Seule la filière des pépiniéristes pourrait y voir clair, car la réponse se trouve dans les variétés des cépages plantées.

Comparée à l’histoire millénaire du vin français, la culture du vin n’existe pas encore en Chine. C’est un géant naissant sur l’échiquier du globe viticole. Leurs plantations sont jeunes et s‘agrandissent de façon exponentielle dans des zones inadaptées à l’agriculture, avec une question centrale : l’eau. Beaucoup de surfaces ne sont pas encore en production, sinon il n’y aurait pas un tel décalage de hectolitres produits. Depuis l’an 2000, la Chine a quadruplé la surface plantée, mais la production ne suit pas (encore). La viabilité dans le temps du vignoble chinois reste donc à prouver, reposant pour le moment sur les épaules de gros investisseurs. Ce n’est pas tout de planter, encore-faut-il pouvoir en vivre et gagner de l’argent avec.

De plus, la production étant limitée à une seule récolte par an, même avec l’aide des meilleurs spécialistes du monde il faudra pas mal de temps pour pleinement comprendre et réaliser le potentiel de leur viticulture. Ils avancent rapidement, d’accord, mais aucun grand vignoble du monde ne s’est construit en 14 ans.

Sans parler de la qualité des vins produits, qui, jusqu’il y a peu, ne jouissaient pas d’une bonne image sur le marché domestique chinois. D’où notamment leur intérêt pour les vins d’ailleurs, bien plus prestigieux. Il y aura évidemment des producteurs excellents qui se cristalliseront et porteront l’étendard du vin chinois aux quatre coins du globe. Mais quelle sera l’identité de celui-ci ? Ne disposant d’aucun cépage autochtone majeur, la Chine produira forcément avec les mêmes cépages que tout le monde : Chardonnay, Merlot, Cabernet Sauvignon et compagnie. Ces vins se distingueront-ils suffisamment de ceux des autres acteurs du marché pour faire mouche ? Serait-ce commercialement viable ? Il me semble qu’ils produiront surtout des vins de marque, seul moyen dans leur contexte actuel pour se forger une identité forte. Et les chinois sont très attachés à l’image de marque.

La France, elle, produit des vins de terroir. C’est sa force et sa singularité. Et son meilleur atout sur le marché mondial du vin.

Autre chose que la France pourrait utiliser à son avantage : les chinois aiment le vin rouge, la couleur rouge étant chez eux synonyme de bonheur. Puis c’est un peuple très dynamique qui fait deux choses en même temps : s’éduquer et planter. Ce qui donnera très rapidement un grand nombre de consommateurs très avertis et cultivés, du moins dans les centres urbains. Pour les zones rurales c’est bien plus compliqué. Pour faire court : les chinois sauront apprécier le vin beaucoup plus rapidement à sa juste valeur que d’en produire de grandes quantités à renommée internationale.

Les vins français ont donc encore du beau temps devant eux. Maintenant, la France doit tout simplement arrêter de se lamenter et retrousser ses manches pour continuer à défendre ce qu’ils font, à mes yeux, de plus exceptionnel : le vin. Arrêtez de faire la moue et de vous mettre en colère contre vous-mêmes. Soyez naturels, positifs, raffinés et sexy. Faites envie. Mince, nous, les étrangers, aimons vos vins et votre culture. Alors faites en sorte que ça continue.

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Petit mot de fin : L’Italie est un challenger bien plus sérieux pour la France que la Chine, avec une histoire ancienne, une réelle identité viticole, un vrai trésor de cépages autochtones et un potentiel pour le moment dormant, quoi qu’on en dise. Le jour où ils réaliseront pleinement qu’ils détiennent les clés de la Caverne d’Ali Baba et produiront en conséquence, la France aurait de vrais soucis à se faire. Mammamia ! Je me ressers un verre, tiens, pourquoi pas un Teroldego de Foradori…

Cheers !

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