La viticulture de demain commence aujourd’hui


Cela fait un certain temps que se pose la question de la viticulture de demain : celle qui est en symbiose avec son environnement, porteuse de biodiversité. Certains d’entre vous pensent peut-être que nous y sommes déjà. Mais, malgré tous les efforts entrepris en la matière, la réalité du terrain raconte encore trop souvent autre chose. C’est une problématique qui dépasse d’ailleurs de loin les considérations biologiques, biodynamiques ou vin nature.

Le constat est : considérés comme prestataires au service de l’Homme, le paysage, la nature, la faune, la flore et le sol sont encore très largement traités comme de simples outils de travail. Ce n’est pas seulement cultural, mais également culturel et presque philosophique, reflétant notamment l’éducation agronomique du 20èmesiècle qui pose l’Homme en tant que « exploitant ».

Pourtant, le tableau n’est pas aussi noir que cette introduction pourrait faire paraître. En explorant le vignoble français, j’ai rencontré de nombreuses personnes sincèrement passionnées, investies, amoureuses de leur terre. Des femmes et des hommes souvent engagés, toujours travailleurs, parfois visionnaires, et ce peu importe s’il y a une certification ou non. Parmi eux, nombreux sont celles et ceux qui ont envie de faire bouger les choses et de réinventer leur cohabitation avec l’environnement.

Toutefois, s’il y a un aspect qui m’a interrogé à maintes reprises, c’est celui de  l’industrialisation des paysages.

D’ailleurs, en s’y référant, une de mes promenades les plus marquantes s’est fait en compagnie d’un vigneron très engagé. Devant une vigne à perte de vue, très bien conduite mais en monoculture, sans prairie, quelques arbres clairsemés, aucun bosquet au milieu, il me montrait un sol vivant, objet de toutes ses attentions. Pourtant, en levant les yeux, je n’observais qu’un paysage peu varié, que peu d’oiseaux, que peu d’insectes. Ma pensée était alors : « Il fait un travail admirable. Mais qu’en est-il de la biodiversité ? » En lui posant la question à voix haute, il m’a montré les plantes qu’il avait semé, m’a expliqué la diminution des passages de tracteur pour décompacter le sol, m’a parlé d’une vigne épanouie, d’engrais naturel, de l’odeur finement épicée d’une terre vivante, de la beauté du terroir. J’ai alors compris que dans le monde viticole, malgré l’évolution vertueuse des pratiques, la notion de « biodiversité » était une notion encore peu abordée dans sa globalité.

Car si on regarde d’un peu plus près l’aménagement d’un domaine, d’une appellation ou d’un territoire, la prise en compte des lois complexes de la biodiversité est loin d’être pratiquée. En de trop nombreux cas, elle est tout simplement inexistante. Les courageuses initiatives individuelles et les programmes de recherche institutionnels, que je salue et j’encourage, apportent certes des améliorations et ouvrent de nouvelles pistes, mais elles ne suffisent tout simplement pas pour pallier aux dysfonctionnements nés des monocultures agricoles et viticoles. Il faudrait un mouvement plus large et bien mieux suivi.

Le hic : du côté législatif, l’aménagement paysager en tant que porteur de biodiversité est largement absent des règlementations agricoles. Il ne figure pas non plus dans les cahiers des charges des appellations viticoles, ni dans ceux des valeureuses et nécessaires certifications qui existent. Il suffit de se pencher sur le destin des haies qui jadis peuplaient les bordures des champs pour comprendre que ce qui est considéré comme gênant, notamment pour le tracteur, est éliminé si cela permet de gagner en confort, en surface utilisable et en temps de travail.

Pourtant, dans tout écosystème, l’aménagement du paysage est un élément indispensable à la préservation des équilibres hautement complexes de la vie, et donc crucial pour la biodiversité. Tant que cet élément reste absent des préoccupations agricoles et viticoles, de nombreuses très bonnes initiatives risquent de ne pas changer grand chose aux problématiques écologiques que nous expérimentons. Si preuve il faut, il suffit de constater que malgré  tous les différents efforts entrepris pour préserver l’environnement, nous nous situons au beau milieu de la 6èmeextinction de masse de la biodiversité, mais à la différence des 5 précédentes, celle-ci est entièrement causée par les activités humaines.

En Europe, l’agriculture est régulièrement pointée du doigt comme étant une des principales causes de cette extinction. Elle en fait effectivement partie. J’y ajouterais toutefois qu’il ne faut pas oublier que peu importe où on regarde, quasi toutes les activités humaines en sont la cause, y compris notre propre comportement de consommation.

Pour pouvoir sortir de cette crise agricole (et sans évoquer des réseaux commerciaux qui eux aussi doivent évoluer), il faut prendre en compte le fait que la responsabilité est partagée : celle du consommateur repose notamment sur le fait de payer un prix qui permettra au producteur de travailler dans de bonnes conditions et de façon écologique ; celle du producteur repose dans la bonne gestion et la préservation des ressources naturelles dont il dispose, et ce en tenant compte des écosystèmes qui se trouvent au-delà de la stricte limitation de sa propriété. Car la biodiversité, elle, n’en a cure des découpages cadastraux, mais s’inscrit dans une vaste dynamique interreliée.

Le vin, en tant que vecteur d’émotions, est le produit agricole le plus attachant, mais par là-même aussi celui qui est le plus scruté par le public. En résulte un questionnement constant des pratiques viticoles, parfois à tort, parfois à raison.

Le vigneron, au centre des interrogations, doit alors composer avec des obligations économiques, sa philosophie, son temps disponible, les contraintes administratives, la taille de son équipe et la qualité de son équipement, les traditions familiales et culturales, la diversité des certifications, puis un marché de plus en plus volatile et exigeant quant à la préservation de l’environnement et les engagements pris.

Si la situation du vigneron est donc complexe, la biodiversité, loin d’être une contrainte, est en fait un formidable allié, lui permettant de valoriser les terres et le produit qui en résulte sur le très long terme. Comme disait de façon visionnaire Philippe Saint-Marc : « Le coût de la protection du milieu naturel est beaucoup plus faible que le coût de sa reconstitution. La défense de la nature est rentable pour les nations.» Et l’est donc pour le vigneron.

Face au changement climatique et à l’accélération de des catastrophes naturelles qui en résultent, peut-être serait-il temps de transformer les pratiques viticoles « d’exploitations » en « cohabitations symbiotiques positives ». C’est à dire, en une forme de culture dont les bénéfices sont réciproques aussi bien pour l’Homme que pour la Nature.

Pour y arriver, il semble inutile d’attendre que la législation évolue. Les appareils étatiques sont bien trop lents et certains lobbies, peu intéressés par l’évolution vertueuse des pratiques viticoles, sont beaucoup trop bien implantés dans les arcanes juridiques de la politique.

Alors au lieu d’attendre, mobilisons plutôt le partage des connaissances, la recherche scientifique, la mise en réseau des initiatives existantes et les échanges d’expériences de terrain. Si inclure tous les aspects de la biodiversité dans les pratiques viticoles peut par moment sembler infaisable, voire contreproductif, de nombreux vignerons ont courageusement prouvé par le passé : peu importe d’où on part, tout est possible. Ils ont également démontré que respecter la biodiversité et préserver les écosystèmes n’est pas synonyme de difficultés économiques, bien au contraire.

Dans nos initiatives, n’oublions rien. Abordons tous les aspects, notamment : la structure paysagère en tenant compte de la préservation et l’intégration des espaces naturelles, les principes de permaculture et d’agroforesterie, la diversité génétique des cépages, le rôle bénéfique d’une faune auxiliaire en bonne équilibre, la valorisation et le respect de la vie du sol.

Le sujet est vaste, mais nous sommes nombreux. Puisqu’il y a urgence, prenons les choses en main et faisons la révolution viticole nous mêmes. Après tout, la viticulture de demain commence aujourd’hui.

D’ailleurs : le 28 & 29 janvier 2021 aura lieu, à Avignon, au Centre de Congrès du Palais des Papes, le 1er colloque de biodiversité dédié à la viticulture. Son nom : Vignoble & Biodiversité. C’est ma façon d’apporter une pierre à l’édifice millénaire de la viticulture. D’ailleurs, un superbe partenaire à eu le cran de me rejoindre dans cette aventure. On en reparlera très bientôt, mais notez les dates sur vos agendas.

En attendant : j’ai hâte d’échanger et de grandir avec vous et me réjouis d’avance de nos débats, que j’espère nombreux et inspirants !

Cheers ^_^

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Wine Uncovered

10 commentaires Laisser un commentaire

  1. Bravo Birte pour ce Manifeste.
    Belle analyse démontrant le besoin d’une prise de conscience que l’on doit tous avoir.
    Et je suis tellement d’accord avec toi, même quand la vigne est belle, un paysage de monoculture est tellement triste à l’oeil. Perso, notre travail a changé ces dernières années et je serais ravi de montrer cela lors de ton prochain passage en Provence.
    En attendant, prends soin de toi.

    • Merci Pierre François ! Oui, il y a de plus en plus de personnes qui s’interrogent, qui font, qui cherchent, et qui trouvent. Cela est très motivant ! J’ai hâte de voir ce que tu as initié chez toi ^_^ Prends soins de toi !

  2. Bonjour,
    Président de Terra Vitis Rhône Méditerranée, nous prônons la biodiversité, le respect de la Nature, de l’Homme et des vins. Actuellement nous rassemblons quelques 500 vignerons.
    Nous sommes disponibles pour discuter des enjeux actuels de la filière viticole, lors de réunions, colloques… avec la joie de faire prochainement votre connaissance

    • Bonjour Monsieur Ab-der-Halden, merci pour votre message. Terra Vitis est certes un bon début, mais il faut en fait aller beaucoup plus loin dans la façon de cohabiter, en tant que vigneron, avec les écosystèmes qui peuplent et entourent les exploitations. La situation actuelle d’extinction en masse montre très clairement que les initiatives prises ne vont pas assez loin. Cela vaut d’ailleurs pour toutes les certifications, jusqu’à la biodynamie. Il faut donc faire évoluer nos pratiques culturales et les réinventer profondément, au delà même de toute certification. Au plaisir d’échanger sur le sujet !

  3. Le chemin sera long ,mais au domaine nous y travaillons depuis plus de 20 ans.
    La crise actuelle aura des conséquences sur la consommation des gens qui reviendront nous voir sur les exploitations.
    On va relever le défi pour les générations futures.

  4. Tout comme la robe d’un vin participe au premier contact physique avec le vin, la richesse paysagère et la beauté d’un vignoble pourraient aussi être appréciées et évaluées à l’aune de l’environnement du parcellaire viticole . Le rendez-vous est noté pour cette Première! Bravo Birte.

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