La réhabilitation de l’odorat et la naissance de l’esthétique olfactive


Lors de mes études d’Analyse Sensorielle à l’Université du Vin à Suze La Rousse (superbe université nichée dans un petit château trop joli), nous étions amenés à étudier l’odorat de près, et ce fut passionnant et enrichissant. Pour les examens il fallait présenter un texte, et mes relecteurs m’ont alors fortement conseillé de le publier sur mon blog. Et voilà chose faite : petite réflexion sur celui de nos sens qu’on oublie le plus souvent, mais qui est riche d’enseignements. J’espère qu’à la fin de la lecture vous seriez comme moi : avec une terrible envie de mettre son nez partout et sentir la beauté de la vie !

Résumé court des deux textes : Chapitres 1 et 2 du livre « Odorat & Goût, de la neurobiologie des sens chimiques aux applications », paru mai 2012 aux Editions QUAE et dirigé par les auteurs Roland Salesse (ingénieur agronome et directeur de recherche honoraire à l’Inra) et Rémi Gervais (docteur ès sciences et professeur de neurobiologie à l’université de Lyon I)

Chapitre 1 par Annick Le Guérer (anthropologue et philosophe) : La réhabilitation de l’odorat. Le pouvoir des odeurs.

Chapitre 2 par Chantal Jacquet (professeur d’histoire et de philosophie moderne à l’Université Paris I) : La naissance de l’esthétique olfactive.

Ces deux premiers chapitres, abordant l’odorat dans une visée anthropologique et philosophique, s’inscrivent dans un ouvrage récent qui souhaite faire le point des apports de la biologie moléculaire et de la neurobiologie expérimentale aux sciences du goût et de l’odorat.

En Occident, l’odorat a fait l’objet de condamnations multiples par la plupart des moralistes et pédagogues, essentiellement en raison de ses liens étroits avec la sexualité : un sens dangereux car trop lié à la jouissance. De nombreux philosophes n’ont pas non plus eu plus de considération pour lui et l’ont déclaré le parent pauvre des sens (contrairement à la vue et l’ouïe), car trop subjectif et immédiat, imposant des sensations sans laisser de choix. L’odorat est alors associé à l’instinct et aux émotions, considérés comme handicaps. D’autres ont même déduit que le développement de la civilisation a uniquement été rendu possible par le fait que la position de l’homme est passée de quatre à deux pattes, l’éloignant du sol et du même coup de l’odorat qui perdait alors son importance. Une grande sensibilité olfactive était ainsi considérée comme un trait archaïque, un restant d’animalité. Il est alors compréhensible que l’éducation de l’odorat ait été négligée.

Cependant, d’autres personnalités comme Nietzsche ont reconnu l’importance de l’odorat, s’en servant notamment comme véritable sens d’investigation psychologique et morale. C’est un sens d’affect et de contact de grande précision, apte à percevoir de nuances extrêmement fines se dégageant d’un être, d’une chose, d’un lieu, d’une situation. Dans la psychologie et la psychiatrie ont bien été reconnus les liens étroits entre vécus olfactifs et le rapport de soi au monde. Aujourd’hui cette connaissance trouve son application dans l’olfactothérapie dans les hôpitaux (notamment pour aider aux grands traumatisés à retrouver la mémoire) et les prisons (notamment pour soulager l’angoisse carcérale en ouverture sur le monde extérieur).

L’importance de l’odorat a également été revalorisée et développée à travers la recherche scientifique, récompensée par exemple en 2004 par l’attribution du Prix Nobel de Physiologie et de Médecine aux chercheurs L. Buck et R. Axel pour leurs travaux sur les subtils mécanismes qui régissent le système olfactif.

Après avoir été longtemps ignoré ou relégué à l’arrière-plan, l’odorat connait de nos jours une véritable renaissance. De nouvelles applications voient le jour et l’olfactif est en train d’investir de plus en plus le quotidien sous formes diverses et variées, dans différentes disciplines comme l’éducation, l’art, les spectacles, le marketing ou encore le monde virtuel.
Un nouvel élan de prise de conscience de l’importance de l’odorat est en train de se mettre en place, soutenu par la recherche et une meilleure connaissance scientifique. Le monde olfactif est alors mis au service de la plénitude sensorielle et du bien-être de l’homme.
En parallèle, il fait l’objet d’une véritable réflexion philosophique. Tout comme la vue et l’ouïe ont conquis leurs lettres de noblesses à travers l’art et la musique, l’odorat est en train de dépasser le cadre limité de la parfumerie pour se développer dans un art olfactif à part entière.
Pourtant un des obstacles au développement d’un art olfactif est le manque de culture du nez du monde civilisé occidental, tout comme la suprématie de l’image et du son, ou encore les impératifs économiques du marché : coûter le moins cher possible et plaire au plus grand nombre à travers un rêve partagé (et non pas pour sa fragrance réelle) sans se soucier de la qualité…
Aussi, l’odeur, immatérielle, éphémère et volatile, fait partie des apparences fugaces et ne peut pas être figée. Il lui sera donc difficile de prendre la forme d’une œuvre pérenne, en parfumerie ou ailleurs, ce qui l’empêche de donner naissance à un art olfactif durable. L’odeur est vouée à la disparition. Elle ne peut pas représenter à elle seule de belles formes, elle se décompose dans l’espace-temps et comporte en plus le risque, selon la sensibilité de l’observateur, d’être perçue comme intrusive, incommode ou encore nauséabonde.
S’ajoute la contrainte que la respiration des parfums se heurte au phénomène de saturation et aux limites d’un vocabulaire olfactif très restreint. Parfumeurs, œnologues et cuisiniers, de par leur métier et l’utilisation spécifique de l’odorat, forment l’exception, mais même entre eux il leur est difficile de s’accorder sur un langage ou des catégories déterminées communes.

En revanche, l’art en général a vu se développer une tendance pour des formes éphémères, comme les œuvres de Christo par exemple. L’art sort donc d’un cadre de beauté figée pour devenir instantané et fugitif, et crée par là même un terrain propice au développement et à l’expression d’un art olfactif.
Certains artistes utilisent alors dans leurs œuvres la synesthésie (l’association de modalités sensorielles différentes), comme par exemple l’artiste Alex Sandover (exposition à New York en 2000, Synesthesia Nuclear Families, mettant en scène la préparation d’un repas par une ménagère, en y incluant notamment les odeurs).
D’autres artistes, comme Sissel Tolaas, accordent une place centrale du nez dans leurs créations (exposition à Londres en 2001, Dirty 1, reconstituant l’odeur d’une rue habitée par des pauvres). Considérant le parfum comme un moyen d’expression privilégié l’artiste a même crée son propre langage, le nasalo, se basant sur ses archives odorantes constituées depuis 1990 incluant pas moins de 6 700 odeurs, allant des effluves d’excréments de chien à l’odeur de sa fille. Elle va même jusqu’à la traque des odeurs des émotions, vise à synthétiser les pensées en parfums et crée alors un langage des odeurs pour exprimer le partage de l’espace commun ou intime, la géographie des sentiments et des souvenirs qui affleurent sous forme d’effluves.
D’autres expositions, comme Odeur des Alpes organisée en 2004 à Schwyz par le Groupe des Musées Nationaux Suisses, invitent le visiteur à cerner la spécificité helvète à travers une centaine d’exhalations considérées comme faisant partie de l’âme suisse (plantes alpines, lait, vieux boucs des fermes alpines, graisse à fusil, camphre, etc.).

Le développement de technologies olfactives, comme OlfaCom, permettant la diffusion rapide et maîtrisée des molécules, aide également au développement de l’art olfactif.
Le parfum s’affranchissant de son statut de simple adjuvant pour devenir support central, le théâtre a lui aussi commencé à l’utiliser, comme le montre la pièce L’Encens et le Goudron créée en 2006 par Violaine de Carné, où le parfum sert à réveiller la mémoire et révéler l’identité enfouie pour donner corps aux pensées et aux rencontres. Expérience renouvelée en 2010 avec la pièce Los Demonios écrite par Valérie Boronad, dans laquelle le personnage principal est en quête de son passé, en utilisant l’évocation d’odeurs-souvenirs.

Dans le cadre du développement d’une esthétique olfactive occidentale, l’attention se porte aujourd’hui également sur les esthétiques existantes en Orient et en Asie, où le Japon occupe une place d’exception avec le Kôdô, la voie de l’encens. Cette forme d’esthétique des parfums est un art des fragrances millénaire qui a pris naissance à l’ère de Nara (712 à 792). Quoique très confidentiel, il connaît actuellement un renouveau dans l’archipel. Cet art a pour principe la création de compositions odorantes essentiellement à base de bois parfumés qu’un maître (Sensei), savant en la matière, donne à sentir, ou plutôt à « écouter », à un public de connaisseurs au cours d’un cérémonie spécifique. Le Kôdô repose sur l’existence d’un imaginaire olfactif et d’une intelligence de la composition de fragrances, ainsi que sur l’aptitude à reconnaître et mémoriser les odeurs, et à en discerner les subtilités parfumées. Il exprime à merveille l’impermanence et l’évanescence des choses qui partent en fumée, et peut célébrer tout aussi bien la beauté fugitive que la fragilité de l’être, l’amour de l’instant que le détachement par rapport au temps.
Cet art unique implique une réelle éducation du nez et le développement d’une esthétique olfactive très élaborée. Les recherches occidentales menées aujourd’hui essaient de le comprendre et de s’en inspirer pour nourrir l’imaginaire artistique.
Le Kôdô prouve qu’une esthétique des parfums est bien réelle, mais révèle aussi que tant que l’usage du parfum est limité à des fins religieuses, cosmétiques, de bien-être ou de séduction, un art autonome ne peut pas naître. La spécificité culturelle veut que parfumer son corps n’ait jamais été très développé au Japon, contrairement à l’utilisation de bois aromatiques ou mélanges à brûler pour parfumer l’espace.
Libérant le parfum de sa dimension hygiénique ou érotique a permis de le mettre à distance du corps et de l’apprécier pour lui-même, ouvrant le chemin pour la conception d’un art du nez et la création de lieux ou d’événements où le public est convié à venir sentir des fragrances uniquement pour leur beauté et leur originalité.
Certains artistes contemporains, comme le sculpteur Hiroshi Koyama, utilisent déjà cette forme d’art, comme lors de l’exposition en 2004 intitulée La Reconnaissance de l’Encens, dont les œuvres excavées serties de bâtonnets d’encens marient la volute et le volume : la preuve que fragrance peut rimer avec magnificence et que la beauté peut sortir du nez.

Ces deux textes m’ont amenée vers d’autres lectures autour de l’odorat, son histoire et son développement. Il me semble alors pertinent de parler des points suivants, abordés déjà de près ou de loin dans le résumé des deux chapitres ci-dessus.

Réflexions autour de la réhabilitation de l’odorat, le pouvoir des odeurs et la naissance de l’esthétique olfactive

Comme mentionné ci-dessus, la vue et l’ouïe jouent depuis longtemps un rôle important, développé et partagé notamment à travers la musique, l’art, l’architecture, la peinture, etc. L’odorat en revanche ne jouit pas des mêmes faveurs et était jusqu’à récemment surtout considéré comme un sens mineur, inutile à la connaissance et la vie, associé à tout ce qui est «animal, primitif, instinctuel, voluptueux, érotique, égoïste, impertinent, asocial, contraire à la liberté, nous imposant, bon gré mal gré, les sensations les plus pénibles, inapte à l’abstraction, …». Pourtant, l’odorat et le goût sont essentiels à la survie des individus et des espèces, depuis les insectes jusqu’à l’homme. Sans cette capacité, pas de reproduction ni d’alimentation possible. Charles Fourier, philosophe et utopiste, prédisait pour l’odorat et les odeurs un avenir glorieux. Dans sa chambre transformée en serre il rêvait d’une nouvelle science : celle des arômes dirigeant les animaux et les hommes, un système où le mécanisme anomal joue un rôle capital dans l’harmonie de l’univers. Raillé par ses contemporains, il n’avait cependant pas moins qu’une approche visionnaire des choses.

En Occident, l’analyse du sens olfactif a alors surtout été approchée sous un angle intellectuel et scientifique, contrairement à d’autres cultures comme par exemple en Polynésie où le monde olfactif est l’expression même de l’essence de la Vie, ou encore le Japon qui en a fait un véritable Art à travers le Kôdô.

Dans les écrits occidentaux, jusqu’à récemment peu d’études ont été consacrées à l’odorat, et si recherche scientifique il y avait, bien souvent elle était tournée vers l’analyse du processus de la mort et de la décomposition, mais très peu vers le processus de la vie. Cette démarche a par la suite entraîné l’élan d’aseptisation et l’introduction de l’hygiène afin de restaurer un environnement sain et de préserver la vie.
Dans la littérature par contre, on retrouve ce décalage où le ressenti prime sur le senti : peu de mention est faite de la notion des odeurs. À l’exception du livre Le Parfum de Patrick Süsskind, par ailleurs extraordinaire et exceptionnel dans son approche, aucun autre roman n’est entièrement dédié à ce don qu’est l’odorat (ou du moins pas à ma connaissance). Bien entendu il existe diverses allusions dans la littérature à la senteur des choses, mais elles sont souvent citées non pas pour elles-mêmes, mais plutôt pour souligner une ambiance ou appuyer la narration. Ceci dit, Casanova et le Marquis de Sade utilisaient également les références olfactives pour souligner leurs narrations, mais restaient surtout sur le registre de la jouissance, qui ne représente qu’une des multiples facettes du monde olfactif.
Mais il a fallu tout de même attendre le 20ème siècle pour que le sens olfactif revienne sur le devant de la scène et que le monde scientifique & économique occidental commence à l’étudier en profondeur. En attestent de nombreux articles, essais et ouvrages publiés en nombre croissant depuis le début du 20ème siècle, avec une nette accélération depuis les années 50.

Sentir, c’est être vivant. Sentir, c’est éprouver une impression physique. Cette perspective exprime toutes les ambiguïtés dans lesquelles nous projette le monde des sensations olfactives. Sentir une odeur veut dire la ressentir physiquement, c’est un rapport en quelque sorte fusionnel avec le monde qui nous entoure. Toute sensation physique est une interaction tactile avec son environnement. Nous sommes touchés par une odeur, mais pas seulement. Simultanément nous sommes touchés par une ambiance, une personne, un vécu, un contact physique. Cette double personnalité du mot sentir est d’ailleurs parfaitement exprimée dans la définition même du mot que l’on peut trouver par exemple dans un dictionnaire comme le Petit Larousse, qui reprend tout aussi bien sa valeur olfactive que tactile.

Une sensation olfactive s’inscrit alors consciemment et inconsciemment dans le vécu. On l’imprime et la référence par la même occasion dans sa mémoire sous forme d’image, bien souvent complexe, en quelque sorte une représentation cartographiée de l’odeur perçue.
La forme que prend cette mémorisation reflète aussi bien la codification culturelle et environnementale, tout comme des points de repères beaucoup plus détaillés, comme un pays, une région, un lieu, une bâtisse, une plante, un animal, un aliment, une boisson ou une situation précise, etc. Le monde odorant est d’une immense complexité et diversité.
Lorsque la mémoire est activée à travers une perception olfactive, il n’est pas rare de voir apparaître devant son œil intérieur une image venue directement d’un autre temps, une situation plus ou moins précise qui peut donc évoquer non seulement l’objet odorant déclencheur lui-même, mais tout ce qui s’y est lié. Quasi instinctivement une réaction affective se manifeste, qu’elle soit de bien-être, d’acceptation ou de répulsion.
Ce référencement est unique à chaque personne. La capacité de sentir ou non les choses, la faculté d’identification des molécules ainsi que le seuil de sensibilité, sont définis par l’ADN.
Cependant, il y a plusieurs sortes d’attributs reconnus en commun aux perceptions olfactives : la qualité, l’intensité et la valeur hédonique ou affective. Ces attributs sont déterminés à la fois par les propriétés physico-chimiques des substances odorantes, mais aussi par les propriétés du système perceptif, c’est à dire de l’organe récepteur et des ensembles neuronaux qui transmettent et utilisent l’information. Ils permettent de créer des valeurs communes pour ensuite les différencier individuellement, puis éventuellement pouvoir les comparer si nécessaire.
La qualité des récepteurs et la capacité de discrimination du cerveau et de la mémoire jouent un rôle essentiel, sans quoi la profusion d’informations reçues créerait tout simplement de la confusion, avec comme résultat l’incapacité de les analyser et de les retranscrire, ou encore l’information olfactive ne serait tout simplement pas perçue.

Vient le défi du partage de l’expérience olfactive : le langage, véritable miroir de la culture, des modes de pensée d’un pays et de ses règles sociales, exprime la perception consciente, inconsciente, culturelle, usuelle et environnementale du monde olfactif. La langue française ne décrit pas les odeurs en tant que telles par des noms spécifiques, mais en référence aux objets ou sources odorantes (ça sent la fraise, ça sent le feu, ça sent la neige, ça sent le fruité, etc.) ou en appréciation hédonique (ça sent bon, ça sent mauvais, c’est une odeur élégante, etc.).
Le Dictionnaire des Synonymes de la collection Les Usuels de Robert donne une répartition intéressante des expressions (principalement des verbes) désignant l’acte de percevoir les odeurs. La liste des mots ayant trait à un jugement perceptif positif est assez limitée : sentir, flairer, renifler, humer, odorer, subodorer, etc. En tout on compte à peine une dizaine de mots.
En revanche, dès que l’on passe aux jugements perceptifs négatifs, la liste s’allonge de façon impressionnante : puer, chlinguer, cocoter, cogner, fouetter, taper, tuer des mouches, etc.
Une fois de plus, on peut raisonnablement constater que le monde olfactif est plus souvent perçu comme un monde intrusif, répulsif ou interdit.

Partager une expérience aussi intime à partir d’un référentiel aussi limitant et associé de près ou de loin à l’interdit, n’est point aisé. Peu importe d’ailleurs si l’expérience est positive, négative, simple ou complexe. On a bien souvent du mal à choisir les mots appropriés, surtout quand le vocabulaire existant est limité et ne peut donc refléter que partiellement la valeur réelle de la sensation ressentie lors de la perception d’une odeur : la restitution est alors incomplète, ce qui rend d’autant plus difficile l’accès à un monde olfactif partagé.

Malgré cet héritage historique défavorisant, le monde olfactif intéresse aujourd’hui de plus en plus et (re)trouve alors une place importante dans la vie quotidienne.
Apres l’ouverture en Occident d’une véritable chasse aux mauvaises odeurs il y a déjà plus d’un siècle (depuis 1750 plus précisément), la signature olfactive du monde dans lequel on vit aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle d’il y a un siècle ou plus. Petit à petit le monde odorant a évolué d’un monde très contrasté vers un monde quasi neutre. Alors que l’on s’éloigne en quelque sorte du monde qui nous entoure, ceci a paradoxalement permis de remettre les compteurs à zéro et d’enclencher, probablement inconsciemment, un processus de réhabilitation de l’odorat et même la naissance d’une esthétique olfactive, qui reste cependant étroitement liée aux pratiques culturelles d’un pays.
De plus en plus de disciplines investissent aujourd’hui le monde olfactif, qui n’est plus la préoccupation majeure d’une petite partie de professions spécialisées telles que la parfumerie ou l’œnologie par exemple, mais qui est alors exploré à travers différentes applications destinées à un public bien plus large (voir grand public), comme évoqué ci-dessus.

Conclusion
Apres plusieurs siècles d’ignorance, le monde de l’odorat revient de loin et est aujourd’hui en train de sérieusement regagner du terrain dans la culture occidentale. Cependant, malgré toutes les avancées dans le domaine, il me semble que le plus grand obstacle à franchir reste de le sortir de l’intellectualisation et de la rationalisation pour le remettre à sa place véritable : la vie intuitive et sensorielle dans toute sa complexité, au cœur même de la vie chacun de nous.

La recherche scientifique, médicale et anthropologique est primordiale pour comprendre les mécanismes et pouvoir créer des points de comparaisons avec d’autres approches, mais tant qu’il y aura des barrières culturelles, intellectuelles et religieuses qui nous empêchent d’exprimer ce qui nous touche au plus profond et de parler de nos émotions, sensations, impressions et vécus, notre sens olfactif s’en trouvera toujours diminué et retranscrit de façon incomplète de par même sa nature intime. Il faut alors encourager la tolérance, la différence et le partage sous toutes ses formes, pour pouvoir dépasser la pudeur et déconstruire la barrière que représente le jugement d’autrui. Il me semble alors que la vraie révolution de l’odorat, puis son intégration dans la vie occidentale, pourra se faire plus facilement dans la sphère familiale et dans le cadre de l’éducation, où il est plus aisé de s’exprimer et partager ses impressions de manière décomplexée et libérée.

Pour terminer, on ne peut que constater que nous avons encore tant à découvrir et à apprendre. Ouvrons grands nos cinq sens vers le monde et soyons ouverts aux expériences intenses, uniques et personnelles que nous offre l’univers sensoriel, sensible, subtil et sensuel qu’est la perception olfactive. Ne soyons pas timides : c’est une aventure profondément humaine et passionnante sur le chemin de la connaissance de soi et du monde !

 

BIBLIOGRAPHIE
ODORAT & GOÛT, DE LA NEUROBIOLOGIE DES SENS CHIMIQUES AUX APPLICATIONS, Editions QUAE, R. Salesse & R. Gervais, 2012
SENTIR, POUR UNE ANTHROPOLOGIE DES ODEURS, Collection Eurasie chez l’Editeur L’Harmattan, sous la direction de Jane Cobbi et Robert Dulau, 2004
LE ROBERT, DICTIONNAIRE DE SYNONYMES, Collection Les Usuels du Robert, 1989
LE MIASME ET LA JONQUILLE d’Alain Corbin, Collection Champs Histoire des Editions Flammarion, 2008 (première édition en 1986)
LE PETIT LAROUSSE ILLUSTRÉ 100ème édition, Éditions Larousse, 2005

 

LEXIQUE

Olfactothérapie : créée en 1992 par le thérapeute Gilles Fournil. Méthode psycho-corporelle se basant sur les capacités exceptionnelles des odeurs et des vibrations de certaines huiles essentielles pour accéder à notre inconscient, faisant remonter à la surface des émotions et souffrances passées pouvant être responsable d’un blocage ou d’un mal-être présent (www.olfactotherapie.com)
Sigmund Freud : né le 6 mai 1856 à Freiberg en Autriche, mort le 23 septembre 1939 à Londres à l’âge de 83 ans. Médecin neurologue autrichien, fondateur de la psychanalyse. Il prônait que l’évolution de l’homme lui aurait permis de s’affranchir du monde animal en s’éloignant du sol, reléguant petit à petit l’odorat à un rôle mineur. Il a également admis que ce refoulement avait lésé notre aptitude au bonheur, nous coupant du monde sensoriel qui nous entoure.

Friedrich Nietzsche : né le 15 octobre 1844 à Röcken en Allemagne, mort le 25 août 1900 à Weimar en Allemagne à l’âge de 55 ans. Philologue, philosophe et poète allemand. Ardent défenseur de l’odorat, il lui a reconnu une vraie capacité d’investigation psychologique et morale.

Emmanuel Kant : né le 22 avril 1724 à Königsberg en Prussienne et y est mort le 12 février 1809 à 79 ans. Philosophe allemand, fondateur de la philosophie kantienne, articulée autour de trois branches : philosophie théorique (critique de la raison pure), philosophie pratique (critique de la raison pratique) et philosophie esthétique (critique de la faculté de juger). Il considérait l’odorat comme un sens ingrat inutile à développer.

Hubertus Tellenbach : né le 15 mars 1914 à Cologne en Allemagne, mort en septembre 1994 à Munich en Allemagne, à l’âge de 80 ans. Psychiatre reconnu pour ses études sur la mélancolie et la dépression. Il a démontré l’importance des vécus olfactifs dans la construction (ou au contraire altération) du rapport de soi au monde.

Charles Fourier : né le 7 avril 1772 à Besançon, mort le 10 octobre 1837 à Paris à l’âge de 65 ans. Philosophe et utopiste.

Christo : couple d’artistes contemporains, composé de Christo Vladimir Javacheff (né le 13 juin 1935 à Gabrovo en Bulgarie) et Jeanne-Claude Denat de Guillebon (née le 13 juin 1935 à Casablanca au Maroc, morte en 2009 à New York). Ils mettent en scène toiles, câbles et structures métalliques, pour créer des œuvres éphémères qui durent deux semaines en moyenne. Leur art consiste en l’empaquetage de lieux, bâtiments, monuments, parcs et paysages.

Chaîne télévision interactive odorante, développée en 2001 par France Télécom R&D. Conçue pour une utilisation collective autour d’un téléviseur. Le téléspectateur navigue à l’aide d’une télécommande et porte autour du cou un dispositif portable de diffusions d’odeurs lui laissant toute la liberté de mouvement. Des messages olfactifs identifient différents types de service : les jeux en ligne, la météo, la messagerie, le chat, etc. Aujourd’hui Samsung travaille sur des télés 4D odorantes, mais aucun modèle grand public n’existe pour le moment sur le marché.

L’odorama au cinéma : technique pas encore très usitée et pas encore adoptée par les spécialistes du cinéma. Quelques projections ont pourtant eu lieu : Le Chocolat au Gaumont des Champs Elysées en 2001, Demain ne meurt jamais (de la série des James Bond) à l’UGC Normandie en 1997 ou encore Le Grand Bleu en 1990 par exemple.

L’odorat dans les jeux vidéo : développé par la société californienne Scent Science, c’est une interface permettant la diffusion d’odeurs pour toutes sortes de plateformes digitales en jeux vidéo.

Livres odorants : par exemple la bande dessinée Poupée de Bronze de la série Les Innommables de Conrad & Yann.

Culture & Vin

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