BANDOL – 25 METRES SOUS LA MER


Qu’ont le narguilhé, Dark Vador et Bandol en commun ? La passion pour le vin et un brin de folie.

En 2015, 120 bouteilles de Bandol blanc, rosé et rouge ont fait en catimini le plongeon dans la grande bleue. 120 bouteilles identiques sont restées à terre afin de pouvoir comparer. L’idée : tester sur une période donnée l’effet du milieu marin sur le vieillissement du vin. Peut-il alors devenir immortel comme s’amuse à lancer Guillaume Tari, président de l’appellation des vins de Bandol ?

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Ce projet un peu fou est d’abord né d’une amitié de deux bons vivants, celle du dynamique Gérard Loridon, pionnier de la plongée subaquatique, et de Pascal Perrier, directeur de l’œnothèque de Bandol. Il faut savoir que malgré sa proximité avec la mer, Bandol est un terroir tout aussi têtu et terrien que son cépage phare, le mourvèdre, et que ses vignerons. Car surplomber la Méditerranée ne veut pas forcément dire céder aux sirènes de la frivolité côte azuréenne en produisant des vins d’un été. Cependant, le port de Bandol joue depuis longtemps un rôle important dans le commerce, y compris du vin de l’appellation. Toutefois, trop petit pour accueillir des bateaux de gros tonnage, il fallait jeter les barriques de vin à la mer pour pouvoir les embarquer ou débarquer. Parfois on les y laissait même entreposées. Les vins de Bandol ont donc en quelque sorte historiquement l’habitude de se mouiller.

Le 21 août 2015 le projet prend forme, proche de Toulon, au large de Saint-Mandrier. Sous la houlette de Jérôme Vincent, directeur de l’école nationale des scaphandriers (ENS), un caisson rempli de 120 bouteilles est immergé à 25 mètres sous la mer, enfoui en un lieu tenu secret sous une épaisse couche de sable par un escadron de scaphandriers enthousiastes.

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À cette profondeur, il n’y a plus de lumière, la température est stable autour de 14°C toute l’année et l’oxygène, lié à l’hydrogène, ne peut interagir avec le vin. Des conditions en théorie parfaites pour la garde, comme l’ont déjà prouvé les 168 bouteilles de champagne de 170 ans d’âge retrouvées en mer baltique en 2010.

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Cependant, la pression sous l’eau à 25 mètres étant supérieur qu’à terre, il a d’abord fallu conduire des test pour s’assurer que les bouchons résistent, car contrairement aux bouteilles de champagne le bouchon d’une bouteille de vin est entièrement inséré dans le col et peut donc bouger : en fait, la pression totale à 25 mètres est de 3,5 bars, comparé à 1 bar à la surface. L’air présent en bouteille est alors comprimé, ce qui crée un vide qui aspire le bouchon vers l’intérieur (la loi de la physique !). Finalement, cirer les cols des bouteilles a été la solution idéale, empêchant ce phénomène de se produire jusqu’à 50m de profondeur.

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L’essai de vieillissement en immersion, initialement prévue pour une durée de 18 mois, a dû être raccourci à moins de 12 mois à la demande expresse de la Préfecture du Var, malheureusement pas très enclin à soutenir ce projet pour le moins original. C’est alors ce vendredi 5 août 2016 dans la matinée, dans une opération de 4 heures, que les 120 bouteilles ont été repêchées par un escadron de scaphandriers toujours aussi enthousiastes.

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Dans la foulée a eu lieu la dégustation comparative terre/mer à l’aveugle, au joli Fort du Balaguier à La Seyne-sur-Mer. Malgré les vacances estivales 10 experts ont répondu présent, dont l’étonnant Philippe Faure-Brac, toujours à l’appel.

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Le résultat était déconcertant, car inégal selon les vignerons et leur style de vinification. Toutefois, dans toutes les couleurs les vins élevés en mer montraient une fraîcheur intrinsèque, du croquant et une grande jeunesse, pendant que ceux mûri en cave se montraient en général plus solaires et évolués.

Si on devait extrapoler une généralité, ce qui est franchement impossible, on pourrait dire que les blancs aiment unanimement la mer laquelle met en valeur leur croquant et fruité délicat, tel que la fraîcheur matinale qui rosit les joues des promeneurs.

Les rosés par contre se plaisent plus à terre, avec toutefois quelques beaux exemples venus de la mer.

Les rouges, plus subtils et moins évidents à décoder, restent sur leur réserve et nécessiteront probablement un séjour en mer bien plus long pour permettre de se faire une idée claire sur leur potentiel d’évolution. Cette timidité d’évolution est vraisemblablement due au mourvèdre, cépage au caractère bourru comme un bord de chemin envahi de ronces aux fruits rouges et noirs délicieux mais qui dispose d’un extraordinaire potentiel de vieillissement : il ne s’épanouit véritablement qu’après quelques années en cave.

L’immortalité donc ? Pas vraiment. L’expression de terroir ? Divergent. En revanche, un éclairage passionnant sur la capacité du vin à nuancer son expression selon l’environnement dans lequel il vieillit.

Ravis de cette expérience, les vignerons de Bandol risquent de remettre le plat dès 2017 avec un projet de comparaison d’évolution de vins voyageant à bord d’un bateau, restés en cave ou immergés. Mais chuuuut !

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Le saviez-vous ?

Il n’y a plus qu’environ 500 scaphandriers en France et 3 écoles francophones dans le monde. Ce magnifique métier d’aventurier du fond marin et d’extrêmes est en voie de disparition. Le scaphandrier peut plonger jusqu’à 701m de profondeur et rester jusqu’à 30 jours sous l’eau selon le travail à effectuer. Il est relié à la surface ou la station de ravitaillement par un long câble au nom coquet de « narguilhé ». Il l’approvisionne en oxygène, permet de mesurer la profondeur de la plongée et la communication avec l’équipe technique qui veille sur lui. D’ailleurs, plus la plongée est en profondeur, plus le mélange d’oxygène est enrichi en hélium. Résultat : même le gars le plus costaud finit avec une voix de Mickey Mouse…

Et Dark Vador dans tout ça ? La saisissante ressemblance du son de la respiration entre lui et un scaphandrier en plongée. De plus, les deux portent un casque et effectuent leur travail dans les ténèbres. Georges, ton inspiration a été démasquée !

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Les chiffres :

3 organismes partenaires : l’ODG de Bandol, l’œnothèque de Bandol, l’école nationale des scaphandriers (ENS)

13 vignerons volontaires de l’AOC Bandol (Domaine de la Bégude, Gueissard, Domaine La Suffrène, Bunan, Domaine de l’Olivette, Château Pradeaux, Domaine de Terrebrune, Moulin de la Roque, Château de Pibarnon, Gaussen, Château Salettes, Domaine du Gros’Noré, Domaine de la Tour du Bon)

8 blancs, 9 rosés, 12 rouges

120 bouteilles immergées en mer, 120 bouteilles restées à terre

2 jours d’opération en mer

349 jours de vieillissement

10 dégustateurs professionnels

Une ribambelle de beaux scaphandriers

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