Vins de la Vallée du Rhône #5 : Domaine du Trapadis, un Rasteau pas comme les autres


Le mois de juillet. Il fait chaud. Le vent s’engouffre à travers les fenêtres ouvertes de ma voiture, sillonnant à travers la campagne de la Drôme Provençale et du Vaucluse. La route d’Orange qui mène vers Rasteau offre une vue imprenable sur la vigne. En face se dressent les Dentelles de Montmirail, fameuse montagne contre laquelle se lovent quelques-unes des appellations en Cru les plus en vue de ce coin paradisiaque (Beaumes-de-Venise, Vacqueyras, Gigondas, etc…). Les Dentelles donnent un côté indompté au paysage. Elles ressemblent à une mâchoire de géant posée en haut d’une colline, telle qu’une couronne perdue lors d’une bataille épique, prête à croquer le ciel. Côté Rasteau, quelques domaines viticoles longent la route et jouissent d’une vue panoramique.

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Le climat méditerranéen, dont l’influence s’étend jusqu’ici, favorise des étés chauds et secs, ainsi que les hivers doux.

La pluie tombe surtout en demi-saison, printemps et automne, mais peut, en été, donner lieu a de violents orages, avec parfois plus de 100mm qui tombent en l’espace de quelques heures.

Étant relativement proche de la vallée du Rhône, le vent aussi fait parti de cette contrée. Dénommé Mistral, ce qui signifie en provençal « vent maître », il balaie, décoiffe, apaise, et rafraîchit, parfois trop, celui qui travaille dans la vigne et les promeneurs imprudents. Il crée des conditions à la fois favorables et contraignantes pour la viticulture. En temps de pluie, il sèche les feuilles et les grappes en un temps record, mais il est aussi capable de s’engouffrer entre les rangs pour coucher, voire déraciner les pieds. Il est alors important de les planter dans un sens qui épouse, plus que n’arrête, le vent. Sans oublier que le Mistral est un formidable chasseur de nuages. Le ciel bleu de Provence existe aussi grâce à lui.

La végétation est à l’image de ce climat contrasté : à Rasteau, la rencontre entre la flore méditerranéenne et subméditerranéenne crée une diversité qui réjouit l’œil de l’observateur et le cœur des botanistes en herbe. Oliviers, Lavande, Pins Sylvestre, Chèvrefeuille, Thym Sauvage, Pins d’Alep et Pins Noir d’Autriche se côtoient aux détours des chemins qui sillonnent les plaines et les collines, puis s’épanouissent en bordure des vignobles.

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C’est dans cet environnement, à la limite de l’appellation, que se trouve le Domaine du Trapadis. Une petite maison modeste au bord de la route, avec un caveau tout aussi simple, mais un accueil ô combien chaleureux. Helen Durand, le vigneron et propriétaire, préfère clairement passer du temps dans sa vigne et le chai. C’est donc sa maman, Michèle, qui reçoit et bichonne avec beaucoup de gentillesse les visiteurs.

Pour la petite histoire, Trapadis signifie « trou » en provençal, et désigne la galerie souterraine où naît la source qui, autrefois, alimentait en eau potable les quelques maisons du lieu-dit. L’entrée pour cette galerie se trouvant sur une des parcelles du domaine, le nom coulait, pour ainsi dire, de source.

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Ce domaine familial, d’environ 35ha aujourd’hui, est né initialement de l’assemblage de deux propriétés. Césaire Brun, arrière grand-père d’Helen, et Théophile Charavin, avaient chacun leurs vigne. En 1942, Henriette Brun épouse René Charavin. Ils unifient les deux patrimoines pour construire une cave et donner naissance, en 1950, au Domaine du Trapadis. Tous les vins produits sont alors vendus au négoce et le domaine ne produit pas de bouteilles. En 1990, leur petit-fils Helen, à tout juste 16 ans, rompt avec cette tradition et commercialise leur premier vin. Depuis, Helen n’a pas cessé de grandir, pour finalement produire aujourd’hui quelques-uns des Rasteau les plus atypiques de l’appellation. Grand fan des vins de Bourgogne, il s’en inspire pour produire des vins solaires, mais en finesse. Les vins de Rasteau étant d’habitude plutôt charpentés et solides, Helen a su, à travers le temps, tirer son épingle du jeu pour se forger un style bien a lui.

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Les parcelles du domaine sont groupées sur trois appellations : 24ha sur Rasteau, 6,5ha sur Roaix et 4,5ha sur Cairanne. Trapadis produit alors différentes cuvées, la majorité avec le cépage roi de Rasteau : le Grenache. Mais il y aussi du blanc, du rosé, du vin doux naturel et, une rareté, un vin naturellement doux !

Il a décodé son terroir dans le moindre détail et le connaît par cœur. Ce qui n’a pas toujours été le cas. À ses débuts, il avoue avoir voulu s’inspirer d’autres vins et vignerons, pour faire comme eux. Sauf que ça ne marchait évidemment pas. Chaque vigne est différente de celle du voisin, tout comme le microclimat, la composition et diversité des ceps, et in fine le caractère du vigneron lui-même. Alors il revoit tout, se questionne. Aujourd’hui, le terroir diversifié de ses parcelles lui offre un beau terrain de jeu, qu’il cultive en bio, voir biodynamie, et avec beaucoup d’amour. En m’y promenant cet été en sa compagnie, j’ai découvert un vignoble très soigné, avec un sol souple et bien travaillé, puis une vigne en pleine forme. Cela ne faisait que confirmer ce que j’avais déjà trouvé auparavant en goûtant ses vins : une démarche de qualité, sincère et minutieuse.

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J’apprends que les différentes argiles présentes dans le sol (blanches, jaunes, rouges et bleues) donnent chacune des caractéristiques différentes au vin, car chacune a des pouvoirs de rétention d’eau différents. On peut aussi parler de pouvoirs d’attraction. De taille minuscule, les particules d’argile ont une charge négative qui attire l’eau, de charge positive. Alors dès qu’il pleut, ils forment un couple, et grâce au pouvoir d’attraction de l’argile il restent longtemps ensemble. D’où la capacité de rétention d’eau des sols argileux. Le sol fournit, même en temps de sécheresse, suffisamment d’eau pour que le pied de vigne puisse s’alimenter sans stress hydrique. Son gros inconvénient est qu’une fois il est gorgé d’eau, le sol devient imperméable et peut asphyxier les racines de la plante. D’où l’intérêt des sols bien travaillés et aérés…

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Autre point : grâce à l’humidité présente le terroir reste plus frais, même sous la chaleur d’été. Cela influe le microclimat autour du cep et retarde la maturation des grappes. Dans un climat aussi chaud qu’en Vaucluse cela est un point à ne pas négliger dans la viticulture.

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Il y aurait beaucoup d’autres choses à raconter, mais je ne vais pas tout vous dire maintenant. Comme ça, si vous croisez Helen sur une dégustation ou chez lui, vous pourriez lui poser plein de questions !

En ce qui concerne ses vins, voilà mes trois favoris :

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AOP Rasteau – Les Adrès 2011 – rouge – prix 16€

80% Grenache, 10% Mourvèdre, 10% Carignan

Cette cuvée est issue de vieilles vignes, âgée de 60 ans en moyenne et taillées en gobelet. Le terroir est argilo calcaire, partiellement en marnes bleues. Le rendement est petit, entre 10 à 20 hl/ha selon les parcelles. Après une vendange et un tri manuels, puis une infusion douce plutôt qu’une extraction, le vin est élevé pendant 20 mois en cuves béton, avec seulement 10% qui passent en fûts de chêne d’un vin.

En bouche, le vin dévoile une belle structure ferme, avec des tannins présents mais souples et fins. Frais, il se construit en gagnant en ampleur aromatique : ça goûte délicieusement le sud (fruits noirs, olive noir, laurier), avec une franche minéralité, presque un peu salin. Ce vin est comme une belle fin de journée d’été, quand la chaleur du jour rencontre la fraîcheur du soir, puis invite à s’asseoir en terrasse pour contempler les derniers rayons de soleil.

Apogée vers 2016

Garde jusqu’à 10 ans

Mieux vaut le carafer avant la dégustation, afin de profiter pleinement de son potentiel aromatique

15/20

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AOP Rasteau – Harys 2012 – rouge – prix 19€

80% Syrah (dont 40% de Seryne) et 20% Clairette

C’est l’alter-ego de l’Adrès, et atypique pour Rasteau car majoritairement fait de Syrah, avec un ajout de 20% d’un cépage… blanc ! De plus, la Seryne est une ancienne variante de la Syrah, datant d’avant le début du clonage des ceps, donc plutôt rare. La vigne, conduite en cordon de Royat, a en moyenne 40 ans d’âge et prends racine dans un terroir argilo-calcaire situé en plaine, d’argile rouge à cailloux roulés. Le rendement est limité à 20 hl/ha, et la vendange, tri compris, se fait entièrement à la main. Fermenté par levures indigènes, l’élevage est identique à l’Adrès.

En bouche ce vin est frais et tendu, avec une belle mâche et une texture tout en velours. Long, il est tout de fruits noirs et de garrigue vêtu. C’est charmant, gourmand, chaleureux et sincère. C’est beau quand un vin est à un tel point le reflet fidèle de sa terre de naissance.

Apogée vers 2016

Garde jusqu’à 10 ans

Mieux vaut le carafer avant la dégustation, afin de profiter pleinement de son potentiel aromatique

15/20

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Les Ponchonnières – Grenache Vendanges Tardives 2011 – rouge – prix xx€

100% Grenache

Et voilà un vin… naturellement doux ! La différence entre celui-ci (VND) et un vin doux naturel (VDN) est que le dernier est « muté ». Ouah, un mutant !! Euh, non, pas tout a fait. Alors petit cours d’œnologie :

VDN = raisins récoltés à maturité idéale. Lors de la fermentation, les sucres présents dans le jus se transforment en alcool par l’action des levures. Sauf qu’ici, on ne les laisse pas aller au bout de leur travail. Quand l’équilibre désiré alcool/sucre est atteint, la fermentation est interrompue en ajoutant au moût un certain pourcentage d‘alcool neutre à 96°. Les levures ne supportant pas un tel choc rendent l’arme à gauche et meurent, ne pouvant pas terminer leur travail de transformation des sucres. Le vin est donc « muté ». En résulte un délicieux moût, qui donnera par la suite un vin à la fois alcoolisé et sucré. Une gourmandise quoi !

VND = en gros on récolte plus tard, comme une vendange tardive, pour avoir une plus grande concentration de sucres dans les raisins. Ce qui est compliqué est qu’il faut aussi conserver l’acidité naturelle, sinon ça deviendra un vin pâteux sans intérêt. Il n’est donc élaboré que les meilleures années, car tous les millésimes ne réunissent pas les conditions idéales pour un tel équilibre. La fermentation se fait à des températures plus basses, afin qu’elle soit longue et lente. Alors, il n’y a pas que l’alcool fort qui tue les levures. Il y a aussi la richesse en sucres qui peut faire la même chose. Quand un vin atteint les 15° d’alcool avec toujours une grande concentration de sucres présents, les levures se fatiguent toutes seules et meurent, n’arrivant pas à bout de leurs efforts. Le monde est injuste. Le vin n’est donc pas muté, et le procès est entièrement naturel sans intervention. Cela donne des vins tout aussi gourmands, mais généralement plus complexes.

Mais revenons à notre Ponchonnières. L’appellation de Rasteau est surtout connue pour ses VDN. Peu s’amusent à expérimenter hors des sentiers battus, mais Helen a tenté l’expérience. La première fois était tellement concluante qu’il a recommencé par la suite, au plus grand bonheur de mes papilles (et j’espère bientôt des vôtres).

L’élevage de celui-ci se fait à 50% en cuve et 50% en fût d’un vin, pendant une durée de 18 mois environ.

En résulte une gourmandise, avec un caractère à la fois frais et doux, très aromatique, mais aussi épicée. L’équilibre est parfait, et les arômes complexes, délicats et expressifs dessinent des arabesques sur le palais. Un plaisir carrément délicieux et subtil. Il épousera à la perfection le chocolat ou bien le fromage, mais aussi vos tartines de foie gras. Et là, le mariage sera parfait…

Apogée vers 2016 Garde jusqu’à 20 ans 16/20 ***

Que ceci ne vous empêche pas de goûter le restant de sa gamme, tous recommandables et à un rapport qualité/prix vraiment intéressants.

Je vous recommande vivement, si un jour vous avez la chance de passer à Rasteau, d’aller le voir. Téléphonez tout de même avant, pour être sûr d’y trouver quelqu’un.

Conclusion : depuis que j’ai goûté ses vins pour la première fois, en 2011, j’ai pu me rendre sur place à plusieurs reprises, prenant le temps à chaque fois de déguster toute la gamme. Il y a une régularité de qualité qui m’a convaincu, et pour moi ce domaine est assurément à suivre de près et ses bouteilles méritent une place sur votre table.

Sur ce, je vous souhaite, chers lecteurs, une magnifique et heureuse année 2015 !! Cheers

COORDONNÉS

Domaine du Trapadis

Route d’Orange

84 110 RASTEAU

Tél. +33(0) 4 90 46 11 20

Fax +33(0) 4 90 46 15 96

Mail : durand.helen@wanadoo.fr

Site web : www.domainedutrapadis.com

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